Lire c’est déjà partir…La littérature, c’est une autre manière de découvrir et de comprendre l’Allemagne. Berlin est une ville qui inspire des histoires. Romans, récits autobiographiques, je vous propose une petite sélection de livres qui ont pour décor la capitale allemande, qui évoquent la vie de part et d’autre du mur de Berlin jusqu’à sa chute. Des ouvrages pour se replonger dans l’atmosphère électrique de l’époque et revivre de grands moments de l’Histoire sous la plume des auteurs, qu’ils soient allemands ou étrangers. N’hésitez pas à partager vos lectures avec les miennes !
(Titre VO „Haltet euer Herz bereit ; eine ostdeutsche Familiengeschichte“ / 320 pages / Parution 2013)
Maxim Leo a vingt ans quand le mur de Berlin tombe. Comme son père et son grand-père, il est lui-même devenu journaliste. Dans ce livre, il raconte l’histoire d’une famille de l’ex Allemagne de l’Est, la sienne. Il rassemble ses propres souvenirs, croisés avec ceux qu’il a collectés. Est, ouest, des années 30 à la chute de l’empire soviétique, il balaie plus d’une soixantaine d’année de l’histoire allemande et nous livre le fruit de ses recherches journalistiques. A travers le regard du narrateur, les mémoires de ses aïeux, on revit l’Histoire.
Maxime Léo brosse successivement les portraits attachants de ses parents et grands-parents. Sa mère d’abord, Anne, née à l’ouest, une femme tranquille et raisonnable. D’abord militante puis déçue par les mensonges du parti (le SED) elle finit par abandonner le journalisme pour devenir historienne. Son père Wolf, graphiste indépendant et artiste, un personnage plus contestataire, épris de liberté, qui transgresse les règles et teste les limites du système par la ruse.
« Je crois que pour mes deux grands-pères, la RDA était une sorte de pays de rêve où ils ont pu oublier tout ce qui les avaient accablés jusque-là. C’était un nouveau départ, une chance de recommencer depuis le début. La persécution, la guerre, la captivité, toutes ces choses effroyables que Gerhardt et Werner ont vécues pouvaient être enterrées […].
Maxim Leo
Fils de bourgeois, d’abord enthousiasmé par le national-socialisme, Werner son grand-père paternel mène une vie insouciante et heureuse dans les années 30. Prisonnier des américains après la capitulation allemande, il passe plusieurs années dans une ferme française avant de pouvoir retourner en Allemagne. Le « petit nazi devenu stalininen » travaillera comme enseignant dans un lycée professionnel en zone russe.
Chassé par les nazis dans les années 30, Gerhardt son grand-père maternel, quitte quant à lui l’Allemagne pour la France alors qu’il n’ a que 10 ans. Communiste convaincu, il devient résistant et se bat au côté des Français sous l’occupation. De retour en Allemagne dans les années 50, d’abord rédacteur pour un journal du parti communiste (KPD) il devient agent du service de renseignement extérieur pour Berlin-Est, collabore avec ceux-là même qu’il a combattu – d’anciens nazis devenus des indics – avant de redevenir journaliste.
Un peuple, une langue, deux pays. Les réunir ne suffit pas pour balayer quarante années de dictature et cohabiter en harmonie. Les choses sont souvent plus complexes qu’elles ne paraissent. Rien n’est jamais tout blanc ou tout noir.
La RDA et le socialisme, c’est une période qui m’intéresse tout particulièrement. J’ai donc beaucoup aimé cette « histoire vraie » et richement documentée, le portrait de chacun de ses parents et le destin assez incroyable de ses deux grands-pères qui ne croisent jamais dans l’Histoire. Les questionnements, les regards – y compris celui de l’auteur – différents qu’ils peuvent porter sur les autorités de l’époque et leur évolution.
Le livre apporte un éclairage sur les différences de mentalités, les barricades invisibles qui peuvent subsister entre allemands de l’est et ouest, l’enthousiasme suscité à l’époque par la création de ce nouvel état et l’attachement, la fidélité à ce pays même après la chute du mur, la fameuse Ostalgie, la nostalgie de l’est (Ost = l’Est).
Pour beaucoup, la RDA créée en 1949 était porteuse d’espoir, un projet de nouvelle société et un moyen de faire table rase du passé. On comprend mieux l’ambivalence des protagonistes face au régime, le tiraillement entre rébellion et conformisme voire résignation. Des allemands de l’est souvent conscients des absurdités du régime mais qui pour être tranquilles et par peur des sanctions, étaient contraints de jouer le jeu dans cette comédie grandeur nature appelée république démocratique.
(282 pages / Parution 2004)
Septembre 1989. Herr Lehmann, c’est un drôle de gars. A l’approche de la trentaine, ses amis ne l’appellent plus Franck mais le surnomme Herr Lehmann. Serveur au Futé, un bistrot situé dans le quartier de Kreuzberg à Berlin-Ouest, il n’est pas particulièrement ambitieux, c’est un homme simple et loyal. Si d’autres considèrent que barman n’est pas un «contenu d’existence», pour Herr Lehmann, offrir à ses clients ce qui leur fait plaisir – se saouler – est tout à fait satisfaisant.
Souvent imbibé, râleur, bougon, susceptible, il se lance dans de longues conversations, s’emporte facilement et balance de grandes théories un poil philosophiques. Une série d’évènements et de contrariétés – annonciateurs des grands changements à venir – vont venir bouleverser sa petite routine : rencontre avec un chien agressif, visite de ses parents à Berlin, dépression de son meilleur ami, déception amoureuse, virée à Berlin-Est où il se fait arrêter au poste frontière. Le 9 novembre 1989, il fête seul ses trente ans en faisant la tournée des bars et passe complètement à côté de la chute du mur…
Même si j’ai été un peu déconcertée au début par cette écriture familière, décalée et eu du mal à rentrer dans ses réflexions – souvent alcoolisées – et discussions animées, j’ai fini par apprécier ce livre dans lequel la bière coule à flots et trouver ce Monsieur Lehmann sympathique. Pour paraphraser son meilleur ami Karl, sa simplicité fait sa fraicheur et le rendent attachant. On suit avec amusement ses tribulations et celles des autres piliers de bars. Au fil des pages, on découvre quelques lieux bien connus des habitants, on s’imprègne de la culture bistrot et de l’atmosphère des nuits berlinoises d’avant la chute.
De la Lausitzer Platz à la Wienerplatz où se trouve le bar dans lequel il travaille, en passant par le restaurant Markthalle dans lequel il vient manger son rôti de porc ; un plouf à la piscine du Prinzenbad, un détour par la Kudamm, un passage à l’hôpital Vivantes Klinikum Am Urban, un arrêt au kebab de la Kottbussertor, le suivant au bar « Zum Elefanten » sur la Heinrichplatz, on peut littéralement marcher sur ses pas et l’imaginer arpenter les rues de Kreuzberg 36.
Herr Lehmann est une histoire qui a été adaptée au cinéma en 2003 et réalisée par Leander Haußmann.
(Titre VO : Wir Kinder vom Bahnhof Zoo / parution 1978 / 368 pages)
La famille Felscherinow quitte la campagne et emménage à Gropiusstadt, une banlieue sinistre de Berlin, où le gris remplace le vert et presque tout est interdit aux enfants. Un père violent et alcoolique, des difficultés financières, les parents de Christiane se séparent. Sa mère refait sa vie avec un autre homme, lui aussi adepte de la picole. Un beau-père désintéressé avec lequel les relations sont tendues, une mère souvent absente, Christiane se révolte et c’est le début de la descente aux enfers.
Pour tuer l’ennui, elle traine dans un centre pour la jeunesse où elle s’initie aux drogues. Christiane commence à 12 ans par l’alcool et les médicaments, la fumette au haschich, le LSD. Elle se met à fréquenter régulièrement le Sound, la boite de nuit berlinoise la plus hype du moment.
Elle y rencontre un groupe de jeunes, qui très vite devient « sa clique » : Stella, Axel, Atze…Babsi, sa meilleure amie, issue d’un milieu bourgeois et qui a ses clients réguliers. Babsi qui deviendra tristement célèbre en succombant à une overdose à l’âge de 14 ans et en devenant la plus jeune victime héroïnomane d’Allemagne. Detlef, 16 ans, son amoureux, déjà accro à la H. – l’héroïne – et avec lequel elle se fera son premier fix.
Le quotidien devient sordide. Pour se procurer leur dose, ils vont tapiner à la station de métro Zoologischer Garten de Berlin ou sur la Kurfürstenstraße – appelée « Baby-Strich »- l’avenue sur laquelle de toutes jeunes filles viennent se prostituer. Longtemps sa mère ni verra que du feu, jusqu’au jour elle découvre sa fille allongée dans la salle de bain. Tentatives de sevrages, passage dans un centre pour drogués, Christiane replonge. Sa mère l’enverra se désintoxiquer loin de Berlin.
Faut-il encore présenter ce livre et la plus célèbre des junkies ? La biographie de Christiane Felscherinow a été écrite par les journalistes du Spiegel Kai Hermann et Horst Rieck. Ce qui au début ne devait être qu’une simple interview s’est terminé en livre. « Wir Kinder vom Bahnof Zoo » est un récit bouleversant sur le quotidien glauque d’une bande d’adolescents désœuvrés. « Un livre culte, devenu celui toute une génération » comme on peut lire souvent…Sorti en 1978, le bouquin fait l’effet d’un électrochoc, l’Allemagne découvre avec effroi les ravages de l’héroïne. Début des années 80, Berlin est une ville en pleine ébullition, un bouillonnement culturel. Quand la lumière des néons s’éteint, la réalité est nettement moins glam rock.
J’ai lu ce livre en allemand il y a longtemps et pourtant le souvenir est vivace. « Moi Christiane F. » est un livre pesant mais qui exerce une sorte de fascination morbide. Comme beaucoup, j’ai été complètement happée par l’histoire de cette adolescente parce qu’elle est sincère, brutale, sans filtres. Naïve aussi, Christiane s’imagine qu’elle ne deviendra jamais accro ou qu’elle peut décrocher sans problème. Marquante également la série de clichés noir et blanc au milieu du livre. La force des images vient se coller au récit : au-delà de l’aspect documentaire sur le milieu junkie, on découvre les visages juvéniles, les corps émaciés de tous les membres de la bande de Christiane, les lieux qu’ils fréquentent, la saleté. Des photos qui ont contribué à l’émotion suscitée par le livre.
J’avais un peu moins aimé l’adaptation cinématographique – avec une apparition de David Bowie, qui signe aussi la B.O. – qui a elle aussi connue un grand succès, mais le film reste à voir.
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